Difficultés des entreprises : un débat pour prévenir par le haut

Patrick Romagnoli, président du tribunal de Commerce de Toulon, a organisé un débat inédit dans ses murs sur la prévention des difficultés des entreprises, avec un casting de choix.
Poursuivant avec suite dans les idées son cheval de bataille de longue date et qui est complètement d’actualité, la prévention des difficultés des entreprises, le président du tribunal de Commerce de Toulon, Patrick Romagnoli, a mis le sujet en débat, attirant beaucoup de monde sur les bancs de la justice commerciale. « Le lieu était un choix délibéré », selon le président, « afin de démystifier ce cadre qui impressionne toujours. Cela fait d’ailleurs partie de la problématique. Les dirigeants ont peur de venir, de ce qui pourrait leur arriver ou de ce que nous pourrions leur dire, alors que notre priorité est de les aider à s’en sortir. Pour eux, pour leur entreprise, pour leurs salariés, pour leurs fournisseurs et clients, pour l’économie ».
Les chiffres nationaux, tout à fait transposables à Toulon, étayent son propos. 90% des entreprises qui entrent au tribunal de commerce par la procédure collective repartent en liquidation (directe ou quelques mois plus tard), avec nombre de conséquences sur la vie privée, tandis que 70 % de celles qui passent par des mesures préventives sortent par le haut !
« Il faut inciter les entreprises à venir le plus tôt possible quand elles commencent à avoir des difficultés, or ce n’est pas le cas naturellement. La crainte sans doute des conséquences. A tort, notre intention est avant tout, et totalement en phase avec l’esprit de la loi, dans l’aide et l’accompagnement, pas dans la sanction, même si celle-ci tombera le cas échéant ».
Le faible niveau de prévention malgré les appels et les mises en garde, est la raison pour laquelle le TC de Toulon a organisé dans ses locaux une table-ronde très pédagogique et informative, prolongeant ensuite les échanges à la faveur d’un moment convivial au siège proche de l’Union Patronale du Var, partenaire privilégié du tribunal autour de cette nécessaire prévention, dans un souci partagé de soutien aux entreprises.
Rebondir est un droit
Ainsi, le président Patrick Romagnoli, également expert-comptable et commissaire aux comptes, a réuni autour de lui un administrateur judiciaire, au cœur du réacteur de la prévention, Xavier Huertas, un avocat en procédures collectives, Jean-François Tognaccioli, un procureur adjoint, Laurent Robert, avec sa vision de représentant du parquet et de l’application de la loi, et un dirigeant qui a su rebondir et traiter la question de façon positive, Jean Lecourieux-Bory. Les clichés de ce dernier, photographe reconverti suite à une faillite d’entreprise, ont d’autant mieux accompagné les débats que son « Entreprise illustrée » n’a manqué ni d’inspiration ni de talent dans les explications de texte.
En 2024 plus de 66 000 entreprises ont fait faillite en France, consécutivement à des procédures collectives, contre 8 000 sauvées par la prévention. Chiffres à l’appui, la réalité confirme les inquiétudes dès le préambule des échanges, et la vigilance doit être de rigueur dans l’ensemble de la chaîne de la prévention.
Il convient de sensibiliser tous les acteurs professionnels du chiffre et du droit à l’exigence d’une attention particulière sur les signaux faibles. Jean-François Tognaccioli, avocat au barreau de Nice, pour qui « entreprendre est un risque, échouer n’est pas faillir, rebondir est un droit », est dans cette approche, à l’écoute de ces signaux. « Cette notion est méconnue chez nous. C’est un concept imaginé aux Etats-Unis dans les années 70. Ce sont presque des intuitions, des indicateurs discrets, subtils qui, quand on les rassemble, peuvent donner des signes d’une possible défaillance. On distingue quatre catégories de repères, financiers, opérationnels, sociaux, réglementaires… ».
Facilement identifiable, le premier peut se traduit par des injonctions de payer répétitives ou un interdit bancaire. S’agissant de l’opérationnel, Xavier Huertas identifie plutôt « un outil de production et/ou un modèle économique qui seraient dépassés, des impayés de clients »… Le facteur social correspond presque à un phénomène de société, comme les grèves, l’après-Covid, un turn over très important, un phénomène d’absentéisme. « Les signaux faibles socio-économiques peuvent faire place aux signaux réglementaires, surtout s’ils ne sont pas anticipés, de type augmentation des coûts (énergie), modifications de modalités fiscales de crédits d’impôts, investissements de mise en conformité, non respect de la réglementation ».
Détection au plus tôt
Côté procureur, a expliqué Laurent Robert, on est aussi destinataires, par diverses sources, de ces signaux de difficulté, que ce soit par défaut de dépôts des comptes annuels, alertes par les commissaires aux comptes, par l’Urssaf, par la DGFIP, le greffier du tribunal de Commerce, les juges consulaires, voire la presse quand elle fait état desdites difficultés dans des articles. « Dans le cadre du tribunal de Commerce, le procureur sort du rôle « d’épouvantail ». Nous sommes là pour défendre l’ordre économique, pour faire en sorte que les règles du jeu soient respectées, que la concurrence soit libre et sérieuse. Plus tôt le tribunal intervient, meilleure est la solution pour l’entreprise ».
« Comme dans le secteur médical, il faut une détection le plus tôt possible », a renchéri Xavier Huertas, en l’occurrence le mieux placé semble être l’expert-comptable. Une passe décisive parfaitement reçue par Patrick Romagnoli en connaissance, pour qui l’expert-comptable est en effet « à côté de son client, à même de mettre des indicateurs de gestion, en parallèle avec l’avocat ». En phase avec ce jeu collectif, Jean-François Tognaccioli a prôné à son tour le travail de concert avec le dirigeant sur les dysfonctionnements, puis sur le traitement. « Il ne suffit pas d’être un bon technicien dans une entreprise, derrière les difficultés, les signaux faibles, il y a une situation humaine fondamentale. Dans une PME, le premier capital immatériel, c’est la santé de son chef d’entreprise ».
D’où le partenariat déployé depuis peu entre le tribunal de Commerce et Odalia, médecine du travail, pour essayer d’être à son écoute de façon personnelle, en plus de tenter de limiter les dommages collatéraux. Sans lui, pas d’activité, pas d’emploi, point de salut économique.
Déni de réalité
L’un des facteurs récurrents de ces situations de difficulté est le déni de réalité. C’est le tabou des tabous chez les entrepreneurs, puisé dans des racines culturelles profondes consistant « à confondre faute et échec », selon l’avocat niçois. « Or, ce n’est pas parce qu’on est en échec que l’on a commis une faute. Cela conduit à ignorer les signaux faibles. C’est ô combien humain, mais cela retarde la prise de conscience ». Pour Xavier Huertas, l’opposition historique est forte entre le « culte du rebond aux USA et le culte du banc de la société en France ou en Europe. Après un échec, vous êtes marqué au fer rouge. Pourtant, nombre de défaillances sont d’ordre « naturel ». On ne maîtrise pas les crises ou les guerres par exemple.
En la matière, depuis la fin du « quoi qu’il en coûte » de la période Covid, le traitement des difficultés, qui est l’une des principales missions de la juridiction commerciale, avec le contentieux entre professionnels, ne cesse de prendre de l’ampleur, avec un effet de rattrapage sur les assignations (Urssaf notamment) qui avaient été mises en stand-by. « Le niveau de défaillances était en 2024 supérieur à l’année de référence, avant la crise, à savoir 2019, mais il convient néanmoins de modérer toutes ces données au regard des profils de sociétés concernées », d’après Patrick Romagnoli.
Tribunal ad hoc
90 % d’entre elles sont en effet des TPE créées dans l’année, sachant que le taux global de création, qui augmente lui aussi, comprend plus des deux tiers d’auto-entrepreneurs. Cela étant, depuis le début de l’année, des entreprises de taille plus importante connaissent des difficultés. D’où une nouvelle inquiétude pour l’emploi en France. Seul élément un peu rassurant, la courbe d’augmentation des défaillances par ouverture de procédures collectives semble s’infléchir au premier quadrimestre 2025 par rapport à 2024.
Globalement, les procédures, confidentielles s’agissant du volet prévention via le mandat ad hoc et la conciliation, contrairement à celles collectives, sont adaptées aux problématiques existantes, maîtrisées par des juges eux-mêmes dirigeants, donc au fait de la vie entrepreneuriale. Quand bien même ils sont parfois un peu techniques, les traitements sur plus ou moins long terme, dans le cadre d’une stratégie concertée, peuvent sauver la vie par une négociation et un étalement des dettes, tandis que l’aveuglement est mortifère. De plus, si le chef d’entreprise tarde à réagir il court le risque de poursuites et sanctions, a précisé le procureur (10% à 15% des cas).
Mieux vaut prévenir donc, et se donner les meilleures chances de concilier durablement le professionnel et le personnel.
Trébucher peut prévenir une chute


Informations juridiques, pratiques, sociales, sur le monde du travail, une réforme, un décryptage de nouvelles mesures, de problématiques de société, un point de vue.
Récemment publié dans la catégorie "En exergue"
