En ce début d’année 2024, le président du Tribunal de Commerce de Toulon, Patrick Romagnoli, rappelle aux dirigeants d’entreprises l’importance de la prévention des difficultés, alors que les défaillances montent en puissance dans une conjoncture incertaine.
2024 s’annonce compliquée sur le front des défaillances d’entreprises, après une année 2023 de reprise en la matière, atténuée par des amortisseurs. Outre les spécificités d’un tissu économique centré sur les services et le tourisme, conjointement à la forte présence de la Défense et des administrations, les impôts et surtout l’Urssaf n’ont pas assigné les entreprises en difficulté avant l’automne dernier, contrairement à d’autres départements et juridictions. La montée en puissance attendue des ouvertures de procédures collectives, constatée de façon plus ou moins importante ailleurs, est en train d’arriver. En l’occurrence, 480 procédures en 2023, contre 450 en 2022, 300 en 2021, loin, bien loin des 569 en 2019, année « normale » de référence. Il convient de considérer que, sans surprise, l’économie retrouve petit à petit son niveau moyen d’avant-Covid, d’avant le « quoi qu’il en coûte », le confinement, le couvre-feu, la fermeture forcée et compensée par l’Etat (c’est-à-dire nous, nos impôts) de nombre d’activités dites non essentielles. Efficaces pour enrayer la crise et éviter la catastrophe, ces mesures ont un prix et l’addition est sur la table, même si des mesures comme les PGE, Prêts garantis par l’Etat, bénéficient pour les entreprises en difficulté d’un rééchelonnement jusqu’au 31 décembre 2026 (50 milliards de crédits octroyés aux TPE/PME depuis 2020 ont été remboursés, sur les 107 milliards au total).
Ce ne sont pas tant les PGE qui inquiètent le président du Tribunal de Commerce de Toulon, Patrick Romagnoli, que la montée significative des injonctions à payer lors des contentieux, qui ont fait un bon entre 2023 (1 920) et 2019 (1 439). « C’est la volonté d’un créancier de recouvrer sa créance rapidement. Une impatience qui alerte sur l’état d’esprit actuel, sur le peu de confiance dans la conjoncture, alors même que le nombre de contentieux est légèrement inférieur en 2023 (511 affaires contre 520) », constate-t-il.
Pédagogie…
Autant de raisons pour mettre plus que jamais l’accent sur la prévention, qui, certes, est en amélioration au regard des 36 conciliations ou mandats ad hoc de 2023, contre 19 en 2022 et 23 en 2019, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. « Les entreprises ne sont toujours pas réactives et se mettent en danger. Dans 80%, voire 90% des cas, lorsqu’un dirigeant vient au Tribunal de Commerce pour une procédure collective, de façon spontanée ou suite à une assignation, cela se termine par une liquidation, alors que 70% des tentatives de conciliation connaissent un succès. Il ne s’agit pas de miracle, mais d’une règle simple : lorsque l’entreprise est en cessation de paiement, c’est trop tard ! Nous sommes très regardants sur cela, les enjeux sont trop importants ». Les Modes alternatifs de règlement des différends, MARD, entrent pour ce faire de plus en plus dans le jeu, y compris au sein de la justice commerciale. Lorsque cela est possible, il vaut mieux un bon accord qu’un mauvais procès, surtout si cela prend des années de traitement et de renvois.
Très sensible au sujet de la prévention qu’il a su développer au Tribunal en tant que juge bien avant d’en prendre la présidence début 2023, Patrick Romagnoli reprend dans ce contexte en ce début d’année son bâton de pèlerin afin de faire de la pédagogie et de la communication sur ce plan, à l’écoute et au plus près des gens, aidée par l’Union Patronale du Var et sa présidente Véronique Maurel. Il fait ainsi le tour des syndicats professionnels (FNAIM), des institutions, travaille avec l’ordre des avocats, des commissaires aux comptes, des experts-comptables (sa famille de métiers).
… et formation
Autre pilier de sa feuille de route qui prend une nouvelle tournure en 2024, la formation des juges consulaires. « Nous avons finalisé la création d’un DU avec la Faculté de droit de l’Université de Toulon, validé par l’Education Nationale, permettant de les faire monter les juges en compétences et en qualité. Cela se passera le samedi matin. Je m’en réjouis et m’engage à montrer l’exemple. Tout est en mouvement permanent. Nous devons nous tenir au courant ».
Enfin, le président Romagnoli reste en vigilance sur les tentations récurrentes des autorités nationales à réformer les Tribunaux de Commerce, plus exactement à introduire des juges professionnels au milieu de juges consulaires, issus du monde professionnel. « Nous sommes des dirigeants, des chefs d’entreprise, nous avons la connaissance, le savoir, pour juger nos pairs, avec conscience, probité, sens de la discrétion et de l’intérêt général. Par notre implication bénévole, nous perpétuons notre juridiction historique ». La plus ancienne de France.
Ce tribunal que l’homme sent en lui est la conscience
Informations juridiques, pratiques, sociales, sur le monde du travail, une réforme, un décryptage de nouvelles mesures, de problématiques de société, un point de vue.